RDC Talibans 3.0 : fanatiques aujourd’hui, entrepreneurs demain.

RDC Talibans 3.0 : fanatiques aujourd’hui, entrepreneurs demain.

Les forces de la coalition internationale conduites par les États-Unis d’Amérique abandonnent l’Afghanistan 20 ans après. Tel un fruit mûr, les provinces sont tombées sans résistance les unes après les autres. L’entrée triomphale des talibans dans la ville de Kaboul tourne la page d’un fiasco militaire qui a inutilement coûté des centaines des milliards de dollars américains, de quoi éradiquer la famine sur toute l’étendue de la planète. Un hélicoptère Boeing CH-47 Chinook se pose sur le toit de l’ambassade américaine pour évacuer les derniers ressortissants yankees. Une image qui rappelle étrangement la chute de Saigon en 1975. L’histoire est un perpétuel recommencement. Les talibans ont gagné la guerre. Une victoire qui fait craindre le pire de toutes les formes inimaginables d’horreurs et d’atrocités dont seuls sont capables les extrémistes barbus enturbannés.

Les talibans il n’y en a pas qu’en Afghanistan. En République Démocratique du Congo, il y a aussi les « talibans » de l’Union Pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS). Le sobriquet est apparu sur les réseaux sociaux en 2018 durant bataille politique pour la désignation du candidat commun de l’opposition à l’élection présidentielle. Jean Pierre Bemba voit sa candidature invalidée par la commission électorale indépendante. Moïse Katumbi, bloqué à la frontière avec la Zambie, est dans l’impossibilité de déposer sa candidature. Le match se joue finalement entre Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe.

Chaque camp déploie son artillerie de propagande sur la toile, communément appelée armée numérique. Soupçonné d’être un infiltré de Joseph Kabila dans l’opposition, Vital Kamerhe est baptisé Kamerheon par les partisans de L’UDPS de Félix Tshisekedi, allusion au caméléon pour son aptitude à changer de couleurs. En réplique, Jackson Mukunda, un jeune cadre de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC), emploie pour la première fois le mot taliban pour désigner les militants de L’UDPS. La réplique fait mouche. L’appellation « talibans » est unanimement adoptée par les internautes congolais, y compris par les Tshisekedistes qui se résignèrent sportivement à porter ce surnom.

Contrairement à leurs homonymes afghans, les talibans du Congo n’ont pas de kalachnikov ni de chars de combats. Issus d’un parti dont les pères fondateurs ont toujours prôné la non-violence, ils ont pour armes le téléphone et les mégas octets, mais les ravages ne sont pas moindres. L’internet est leur champ de bataille.

En dépit des apparences anarchiques, l’armée numérique talibane est l’une des mieux structurées et organisées de la toile congolaise. Leurs aînés connus sous le nom de parlementaires debout se regroupaient devant les kiosques de vente des journaux pour commenter l’actualité et polycopier les extraits des articles qui leur étaient favorables pour acheminer l’information aux plus démunis qui n’ont pas les moyens d’acheter un journal. C’est la première génération des talibans 1.0

Avec l’avènement de l’internet et la démocratisation des services en ligne, la mobilisation des masses a migré. Les réseaux sociaux remplacent progressivement la rue et propulsent la flambée des talibans 2.0. Ils se comptent en centaines des milliers. Ils sont essentiellement jeunes, bouillants, mais soumis aux consignes de leurs généraux. Très virulents et intraitables à l’égard de tous ceux qui attaquent le pouvoir du Président Félix Tshisekedi, parfois difficile de faire la distinction entre un échange contradictoire et une compétition de mal politesse. A l’instar du pouvoir régalien dévolu à la fonction du Chef d’Etat, l’armée numérique talibane est malgré tout un énorme levier pour canaliser l’opinion, promouvoir l’image du pouvoir, vendre du rêve, démolir les adversaires politiques en les livrant à la vindicte populaire.

Au sommet de cette organisation pyramidale se trouvent une dizaine des « généraux”. C’est eux qui gèrent les « laboratoires » de traitement des informations et de diffusion des éléments de langage. Ils disposent au minimum de trois smartphones à double carte Sim ainsi qu’une multitude de comptes Facebook, Twitter et WhatsApp. Imbattables en vidéos d’archives, ils sont également redoutables en logiciels de retraitement d’images pour justifier, légitimer, sanctifier, magnifier, sublimer, amplifier chaque propos ou action du président de la république.

En dessous des généraux, il y a les jeunes majors. C’est la ligne d’attaque constituée des jeunes dialecticiens, pour la plupart diplômés de droit ou de sciences politiques. Très influents et suivis par une meute d’acolytes, ils ont à leur actif des milliers d’abonnés dans les plates-formes interactives. Très bonne élocution verbale et écrite, ils font le pont entre les généraux et les fantassins.

Le surnom des « nzoyi » (abeilles) colle comme un gant aux fantassins. Ils constituent la puissance de feu de l’armée numérique talibane. Virulents, sans état d’âmes, ravitaillés par les éléments de langage conçus dans le laboratoire des généraux, ils peuvent réduire en cendres n’importe quelle cible avec une rafale des publications sur Twitter et Facebook. Ils n’accordent aucun régime de faveur que tu sois le Chef de la plus grande confession religieuse, ou le prix Nobel de la paix ou encore un richissime ancien gouverneur, tu auras droit à la même dose des piques d’abeilles sous forme de publications groupées dont la virulence côtoie allègrement une insolence primitive. Les talibans 2.0 n’ont qu’un seul credo : Fatshi Béton !

Bien que soumis et scotchés aux lignes directrices de leurs maîtres à penser en public, les signes d’impatience et d’agacement sont de plus en plus perceptibles en privé. Après 3 ans d’imperium, malgré la fragilisation du Front Commun pour le Congo de Kabila et la plénitude du pouvoir de Félix Tshisekedi, la majorité des talibans se plaignent d’être constamment légués en arrière-plan au profit des amis de la diaspora et des nouveaux alliés, ennemis d’hier.

La réponse à cette épineuse question ne saurait venir du partage des postes dans l’administration ou dans les entreprises étatiques. Ce qui est moralement malsain et contraint productif. La solution se trouve plutôt avec et dans les talibans eux-mêmes sans qu’ils ne s’en rendent compte. En dépit des conditions sociales précaires et des finances exsangues, ils ont prouvé qu’ils sont capables de se sacrifier pour trouver hebdomadairement un dollar américain au minimum pour activer la connexion internet et s’acquitter de leurs devoirs de loyauté sans faille à Fatshi. 4 dollars par mois pour une personne c’est presque rien, alors que 4 dollars pour 250. 000 personnes par mois c’est un capital financier de un million de dollars américains à repartir sur une dizaine de projets d’entreprises à impact communautaire visible.

Tout le génie serait d’élaborer et d’opérationnaliser rapidement une plate-forme d’inscription, de collecte de fonds, de financement des projets et d’assistance technique d’une nouvelle génération des talibans 3.0. La promesse de Félix Tshisekedi de créer plusieurs millionnaires d’ici la fin de son mandat ne sera peut-être pas effective, mais ce qui est sûr, la reprogrammation de ses militants en talibans 3.0 va favoriser l’émergence d’une nouvelle classe de micro et méso entrepreneurs, véritables moteurs de croissance économique.

Stéphane L. Manzanza

Banquier et Militant Anti-Corruption

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